Les arguments contre le 80 km/h : 90 km/h pour le plaisir

Le mot qui manque : plaisir

De nombreux arguments sont avancés par une poignée active d'opposants à l'abaissement des vitesses maximales à 80 km/h, afin de tenter d'entrainer une proportion maximale de l'opinion publique.

L'un de ces arguments est d'affirmer que cet abaissement ne change pas significativement la violence du choc en résumant cette affirmation par la formule "en cas de choc, que l'on roule à 90 ou que l'on roule à 80, de toutes façon on est mort". Ce premier argument est faux, car le choc subi par les occupants est beaucoup plus faible à 80 km/h qu'à 90 km/h, tant pour les collisions frontales que pour les collisions contre obstacles latéraux (arbres, poteaux, etc.).

Rappelons qu'un choc est une décélération brutale, mesurée de m/s², qui dure un dixième de seconde, temps pendant lequel, l'énergie cinétique  de la voiture se dissipe. Cette énergie cinétique est proportionnelle au carré de la vitesse et de ce fait, entre 90 et 80, le choc est amoindri du quart (0,79), c'est une loi physique immuable. Pendant ce dixième de seconde, la partie avant de la voiture se déforme en accordéon, amortissant ainsi le choc et diminuant le niveau de la décélération subie par le corps des passagers. Le seuil au-delà duquel la survie n'est guère possible est 200 m/s², et il se trouve qu'à 90 km/h ce seuil de 200 m/s² est dépassé et de ce fait, une diminution d'un quart, si la vitesse est de 80 km/h, est significativement importante car cela fait passer la décélération sous ce seuil de 200 m/s².  Ce seuil se confirme assez clairement lors d'accidents : lorsque la vitesse évaluée, par témoignage ou examen de l'épave, est de l'ordre de 90 km/h ou supérieure,  la plupart des occupants sont morts alors qu'inversement, à des vitesses légèrement plus faibles, les occupants (ceinturés) ont survécu.

À  cet amoindrissement précédent de 0,79, dû à la différence d'énergie cinétique,  se rajoute la possibilité de freiner en cas de collision frontale imminente. Prenons un exemple plausible où la voiture adverse est à 80 mètres au moment où on la voit dévier vers nous. Dans ce cas, le calcul montre que si l'on roule à 80 km/h il est possible d'abaisser sa vitesse à 53 km/h au moment du choc, alors qu'à une vitesse de 90 km/h on ne pourrait l'abaisser qu'à 71 km/h. Calcul : chacune des deux voitures dispose de 40 mètres avant le choc, dont une partie est neutralisée par le temps de réaction d'une seconde soit 22 mètres à 80 km/h et 25 mètres à 90 km/h, laissant ainsi subsister une distance possible de freinage de 18 mètres à 80 km/h et seulement 15 m à 90 km/h, ce qui détermine les vitesses de choc ci-dessus de 53 km/h si l'on roulait à 80 et 71 km/h si l'on roulait à 90.  Même si seulement l'une des deux voitures réalise ce freinage, la différence de la violence du choc est importante.

 

Un deuxième argument avancé par les opposants à l'abaissement à 80 km/h est que cette mesure va faire perdre beaucoup de temps. Cet argument aussi est faux : cela ne va faire perdre que TRÈS PEU de temps car il faut bien se rendre compte que lorsque les vitesses de pointe sont de 90 km/h, cette vitesse de 90 n'est pas maintenue pendant tout le parcours car diverses causes de ralentissement se présentent : virages, attente avant dépassement, traversées de lieudits, carrefours. De ce fait, lors d'un trajet, la vitesse moyenne n'est pas 90 mais nettement moindre : elle a été mesurée à  82 km/h pour l'ensemble des routes françaises. Ces divers ralentissements auront moins d'effets lorsqu'un parcours se fait à 80 km/h du fait que le véhicule est déjà ralenti. Dans ce cas on peut évaluer cette vitesse moyenne à 77 km/h.

Quelle sera l'incidence, par exemple sur un trajet de 40 km qui est la longueur moyenne d'un trajet que l'on fait couramment tous les jours sur une route bidirectionnelle soit pour se déplacer localement en zone rurale, soit avant d'atteindre une voie rapide ou une autoroute si l'on effectue un trajet plus long, soit pour rejoindre une gare. Ce trajet de 40 km est fait en 29 mn 16 sec. à 82 km/h (route limitée à 90) et est fait en 31 mn 10 sec. à 77 km/h (route limitée à 80). La différence est seulement de 2 minutes : c'est en fait très peu, et l'argument de prétendre que l'on perd BEAUCOUP de temps ne tient pas. Même dans le cas exceptionnel où le trajet concerné ne comporterait aucune cause particulière de ralentissement et que de ce fait on puisse maintenir le 90 ou le 80 tout du long, la perte de temps serait seulement de 3 minutes.

Sur cet argument de perte de temps se greffe plainte que cette mesure va pénaliser le monde rural qui contrairement aux parisiens n'a pas d'autres solutions que la voiture pour se déplacer, par exemple pour trouver un médecin. Cette plainte serait assez surprenante si elle était prise au premier degré car comparons les 2 minutes perdues  sur la route pour se rendre chez  le médecin à la demi-heure ensuite dans la salle d'attente, comparons également  l'exigence apportée à sa santé pour parfois un petit bobo avec l'acceptation de risquer sa vie en roulant plus vite, comparons le temps d'un trajet en voiture à 80 km/h aux heures passées par les parisiens dans le métro. Cette plainte est assez surprenante, et l'argument supposé de pénalisation des zones rurale ne tient pas non plus.

 

Troisième argument souvent entendu des opposants au 80 km/h : "on va perdre des points de permis, c'est donc pour remplir les caisses de l'État". Ce serait ignorer que la majorité des voitures disposent d'un limiteur de vitesse qui permet efficacement d'éviter les dépassements de vitesse, donc les sanctions. Sur ce point, il est assez paradoxal de constater que les conducteurs aguerris qui manient couramment les aides à la conduite de peu d'intérêt, délaissent le l'emploi du limiteur de vitesse au point de le confondre souvent avec le régulateur de vitesse.

 

Quatrième argument : "Ce sera difficile de dépasser un poids-lourd, on va devoir rester derrière pendant des kilomètres". Certes, mais pourquoi vouloir dépasser un poids-lourd s'il roule  lui aussi à 80 km/h : la solution est dans le code de la route : rouler derrière lui à une distance correspondant à 2 secondes, soit 45 m à 80 km/h.

 

Cinquième  argument avancé par les opposants à l'abaissement de la vitesse à 80 km/h : "Il y a d'autres choses de mieux à faire". Certes, mais le mot "mieux" ne convient pas : il y a AUSSI d'autres choses à faire, mais sans pour autant remettre en cause l'abaissement à 80 km/h. Les 18 mesures énumérées par le Premier ministre le 9 janvier font justement partie des "choses à mieux faire", dont le marquage d'une ligne d'arrêt 5 mètres en amont des passages piétons pour assurer la visibilité, dont l'éthylotest anti-­démarrage en cas de récidive de conduite en état alcoolique. D'autres mesures évidentes non évoquées le 9 janvier devraient bien évidemment être AUSSI appliquées, citons entre autres : remplacer aux passages à niveau les feux rouges clignotants par des feux rouges fixes, éviter les contresens sur autoroute et voies rapides en rendant la signalisation et les aménagements des bretelles plus appropriés, améliorer la visibilité des chiffres du limiteur de vitesse, interdire l'utilisation des smartphones et pas seulement la "tenue en main",  agir à Bruxelles pour recadrer les constructeurs de voitures afin d'interdire tous ces distracteurs visuels censés être des aides à la conduite.

 

En conclusion.

Si les opposants à l'abaissement à 80 km/h savent pertinemment qu'il est faux de dire que le choc est aussi fort à 80 qu'à 90, qu'il est faux de dire que cela fera perdre beaucoup de temps, qu'il est faux de dire que l'on perd plus de temps en roulant à 80 km/h en campagne que les parisiens en métro, qu'il est faux de dire que l'on va immanquablement perdre son permis, que le dépassement des poids-lourds pose un problème et qu'il serait mieux de faire autres choses.

Si donc, pour soutenir leur revendication, les opposants à l'abaissement de la vitesse à 80 sont contraints d'avancer des raisons qu'ils savent pertinemment inexactes, pour quelle vraie raison s'y opposent-ils, pour quelle vraie raison non exprimée ?

En fait, dans l'argumentation il manque un mot que l'on ne veut pas prononcer : LE PLAISIR

Le plaisir de rouler vite, le plaisir de tirer de la voiture le maximum qu'elle nous permet, le plaisir de substituer la force de la voiture à nos limites humaines, le plaisir de se faire croire qu'on est puissant.

Pour le plaisir, peut-on revendiquer le droit de risquer sa vie ? Oui certes, mais pas celle des autres, c'est là aujourd'hui qu'est précisément le problème du 80 km/h.